• SPOILERS: review of series 5 in French

    Game of Thrones – Perte progressive d’identité

    Blog Le Monde

     

    BEWARE: the review is full of spoilers

    Il est préférable d'avoir vu toute la saison 5 pour lire cette note

     

     

     

     

    C'est un peu toujours la même histoire. Et dans le cas présent, c'est une histoire un peu différente car elle tient à une absence de concordance, à des divergences (irréconciliables) de calendrier. L'adaptation télévisée de Game of Thrones devait dérailler. Cela était inscrit dans son ADN parce que l'oeuvre est toujours en cours d'écriture et que la série n'avait pas d'autre choix que de progresser à marche forcée. La conclusion de cette cinquième saison, diffusée dimanche soir sur HBO, a suscité certaines frustrations comme le rappelle le site de Time.

     

    Au-delà des déceptions, la seule question qui vaille est: pouvait-il en être autrement ? Pas sûr. Pas même pour éviter certaines scènes qui tutoient le ridicule. A moins d'être capable de résoudre le problème antique de la quadrature d'un cercle.

     

     

     

    Le sentiment à la conclusion de cette cinquième saison est celui que les scénaristes Daniel Weiss et David Bienoff, malgré tout le travail remarquable qu'ils ont accompli, ont été dépassés par l'oeuvre à laquelle ils ont entrepris de s'attaquer. Comme si, et peut-être à leur corps défendant, ils avaient retiré le tapis sous les pieds de l'histoire qu'ils entendaient raconter et qui les fascinait tellement.

     

    La principale force de Game of Thrones résidait dans sa fidélité, plus ou moins grande mais toujours suffisante, à l'oeuvre de George R. R. Martin. C'est par leur connaissance intime de sa saga que Weiss et Bienoff avaient convaincu, il y a maintenant dix ans, l'écrivain de s'engager dans ce projet pharaonique. La pari qu'ils prenaient à l'époque était de raconter une histoire inachevée, une histoire qui ne serait pas achevée (et ils le savaient) avant qu'ils la racontent.

     

    Leur entreprise a d'abord été couronnée par un succès quasiment inconnu jusqu'alors. HBO a financé un projet comme elle n'en avait plus eu depuis les années 2000. La chaîne retrouvait avec GoT ce qu'elle était devenue, un point d'attraction, un creuset innovant et l'occasion de rappeler à tous ses concurrents qu'elle demeurait une référence par sa capacité à drainer de l'audience et à faire bouger les lignes de la création.

     

    Malheureusement, le temps a fait son office. Que la série dépasse les livres était une variable connue depuis plusieurs années, sans doute depuis le début. A l'époque, les quatre premiers tomes de A Song of Ice and Fire étaient sortis. On attendait le cinquième et on ne parlait pas encore (pas très fort) du sixième. Ce dernier est attendu, en principe, dans le courant de 2016. La course-poursuite était engagée dès le départ.

     

    Le trajet suivi par la série a été celui d'un éloignement progressif. Que l'adaptation allait dépasser les livres était évident depuis plusieurs années. Le calendrier de la télévision ne pouvait pas s'accommoder de celui de l'écrivain.

     

    Transcrire des oeuvres à la télévision n'a jamais été un problème. Bien au contraire. L'écrit a toujours soutenu l'image et en de nombreuses occasions de manière magistrale. Le problème est que dans le cas de Game of Thrones, cette perspective ne pouvait pas être respectée. Le moment où le récit télévisé doit trouver son identité - tout en respectant le matériau écrit sur lequel il s'est construit - devient alors délicat à gérer.

     

    Le trajet que Weiss et Bienhoff devaient emprunter était celui de l'éloignement. Ils savaient qu'il devait y avoir une perte progressive et inévitable d'identité. Il ne s'agit pas ici de les excuser mais de comprendre comment leur entreprise était condamnée à ce qu'elle est devenue dans cette cinquième saison.

    Avec le temps

    On pourrait leur reprocher leur erreur originelle, on pourrait imaginer qu'ils n'avaient pas anticipé ce que leur entreprise allait produire. Mais cela ne serait pas juste. Comment voir les choses à plus de cinq ans ? Comment imaginer au moment de se lancer dans l'aventure que celle-ci allait déchaîner autant de passion et provoquer un tel engouement. Rappelons que Game of Thrones demeure la série la plus piratée de l'histoire et que ses chiffres d'audience battent des records. Les créateurs ont été pris par le succès.

     

    Une autre mécanique s'est alors mise en marche. Celle de l'outrance. Elle était en germe dans la première saison en raison de l'ambition du projet. Elle est devenue une machine difficile à contrôler. Le dixième épisode de la saison 5 est symptomatique de cet emballement.

     

    On est dans la surenchère permanente, par le nombre des figurants, par la réalisation qui veut tutoyer celle du Seigneur des Anneaux. Ce n'est pas ce qui était attendu par le public, peut-être n'était-ce pas ce qu'il voulait. La disproportion devient la règle, la violence est outrée, y compris dans des scènes anodines qui n'apportent rien au récit. On vous laisse regarder la section centrée sur Arya.

     

    Le grandiloquent atteint son paroxysme avec la scène d'humiliation de Cersei. Elle dure près de sept minutes, autrement dit une éternité dans un épisode. Cela n'apporte rien. Cela ne dit rien. Cela ne sert qu'à montrer des moyens avec des dizaines de figurants. On peut être satisfait de ce retournement à l'égard d'un personnage qu'on déteste depuis le début. Assister à sa déchéance est captivant mais aussi longtemps ? Non. A moins qu'on ait eu l'envie d'inverser nos sentiments à son égard. La décapitation rapide de Ned Stark avait été bien plus marquante.

     

    Il y a, dans cette scène, quelque chose d'incongru. Quelque chose qui ne "cadre" pas dans cette saison 5. Et cela est dû à l'obligation de liberté qu'il a fallu prendre. Elle n'est pas cohérente avec la fidélité marquée à l'oeuvre qui prévalait dans les premières saisons. Une dispersion s'est produite: on a de plus en plus de spectacle et de moins en moins d'histoire. On a fait de plus en plus de télévision et de moins en moins d'adaption. Peut-être aurait-il fallu commencer par l'adaptation dès le départ ?

     

    En s'aventurant sur les terres du drame gratuit (mais quand même richement doté) GoT s'est rapprochée d'un show comme les autres. L'excès, qui a guidé certaines scènes, n'apporte rien. Au contraire. Surtout dans une série où les attentes sont à ce point exacerbées et les connaissances méticuleuses. La plupart des scènes de ce dixième épisode sont hors de propos et ne coïncident pas avec ce qui a précédé. On ne parle même pas du final.

     

    Au fond, les seuls moments où la série trouve une nouvelle identité est quand elle l'assume. Notamment au travers du personnage de Theon ou avec l'apparition du roi des White Walkers au terme d'une bataille épique et remarquable avec les Wildlings. Ce passage est un des grands moments de la saison mais il vient démontrer - a contrario - le manque de cohérence de celle-ci. Dans l'épisode suivant, ce moment fort est totalement occulté. Et ce n'est pas le seul.

     

    Cette saison a été celle des bribes. Des éclipses. Ou plutôt des éclairs vite assombris. Par instants, cela était formidable. Mais par instants seulement car l'ensemble ne se tient pas. Malgré les moyens déployés qui sont toujours aussi impressionnants. Malheureusement, on ne fait pas une bonne série sans une bonne histoire. Et celle que Weiss et Bienhoff ont proposé n'était pas bonne.

     

    Heureusement, il reste les livres qui eux sont fidèles à eux-mêmes parce que c'est dans leur nature. Le tome six est promis et attendu. Il restera ensuite le tome 7 mais au moment il paraîtra, la série sera depuis longtemps finie et on aura oublié tout cela. Game of Thrones est finalement une série qu'il faudra revoir dans dix ans. Loin du bruit et de la fureur. Au calme, au long cours. Parce que c'est ce qu'est cette aventure unique, une épopée au long cours.

     


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