• Wolf Hall sur arte: premiers épisodes ce soir

    Sur Arte : “Wolf Hall”, ou l'irrésistible ascension de Thomas Cromwell

    Les livres d'histoire nous ont dépeint Thomas Cromwell, conseiller d'Henri VIII, comme l'exécuteur des basses œuvres du royaume. Cette magnifique série de Peter Kosminsky, inspirée par les tableaux du Caravage et éclairée à la bougie, en fait un personnage complexe et attachant.

    Dans l'une des premières scènes, Thomas Boleyn, père de la future reine d'Angleterre, désigne un homme vêtu de noir, retranché dans un coin sombre de la pièce. « Qui est-ce ? », s'enquiert-il auprès du chancelier du royaume. « Aucune importance, ce n'est personne », répond son interlocuteur. Six épisodes plus tard, l'ombre austère s'est imposée comme l'une des figures les plus emblématiques de son époque, et l'un des principaux artisans de la Réforme protestante.

    Adapté des ouvrages à succès de ­Hilary Mantel(récompensés par le Booker Prize), Wolf Hall est sans conteste l'une des plus remarquables séries historiques produites ces dernières années par la BBC. De la chute du cardinal Wolsey, alors lord chancelier, jusqu'à la décapitation de la reine ­Anne Boleyn, elle décrit l'ascension de Thomas Cromwell (1), fils de forgeron devenu conseiller du roi, et ressuscite une période charnière de l'histoire ­anglaise, pendant laquelle les démêlés conjugaux d'Henri VIII ont causé un schisme au sein de la chrétienté. C'est sur la base du scénario extrêmement ciselé de Peter Straughan que Peter Kosminsky a accepté de réaliser la ­série. Une gageure pour ce réalisateur habitué aux fictions politiques (Le Sermentsur le conflit israélo-palestinien, Warriors, sur la guerre en Bosnie...) dont la seule tentative de film en costume s'était soldée, de son propre aveu, par un « flop monumental ». « Mon adaptation des Hauts de Hurlevent, dans les années 1990, reste la pire expérience professionnelle de ma vie ! Autant dire qu'après ce film calamiteux je ne me sentais pas légitime pour m'emparer de l'histoire des Tudors. »

     

    Avec Wolf Hall, il conjure le sort. Kosminsky réussit une fiction exigeante, fascinante, d'autant plus ­remarquable qu'elle assume un parti pris anti-spectaculaire. Lente, suggestive, la série captive sans rien montrer : ni sang, ni sexe, ni batailles. Juste le ballet métronomique des intrigues de cour, des tractations diplomatiques. « L'idée n'était pas de tourner une "page d'histoire", dit Kosminsky. J'ai filmé cette intrigue comme un drame contemporain, comme si nous avions une équipe de tournage sur place, dans les années 1530. En essayant de créer le sentiment que les protagonistes vivaient juste leur vie, sans surplomb par rapport à elle. »

     

     

    Formellement éblouissante — le réalisateur s'est inspiré des peintures du Caravage et les scènes d'intérieur ont été filmées entièrement à la bougie —, la série ne sacrifie jamais à l'académisme. Vivante, ­vibrante, cette évocation fait vivre des personnages gravés dans le marbre de l'histoire, en révèle un visage inédit, tout en assumant une interprétation romanesque. « Thomas Cromwell a toujours été considéré comme un "méchant", estime Peter Kosminsky. En suivant fidèlement le point de vue de ­Hilary Mantel qui, dans ses ouvrages, avait le désir de provoquer un peu le monde des historiens, nous avons renversé la perspective, et transformé ce personnage en héros. En réalité, c'est une série révisionniste ! » A l'instar de l'historien Geoffrey Elton, qui, dans les années 1950, fut l'un des premiers à réhabiliter Cromwell, Wolf Hall ­replace donc au centre de la modernisation de l'Angleterre cette figure longtemps considérée comme l'exécuteur des basses oeuvres. Interprète magistral, l'acteur Mark Rylance en fait surtout un personnage ambivalent, complexe, attachant. Un opportuniste, à la fois implacable et humain, austère mais joueur, amateur de femmes, dont la relation d'amour-haine avec la reine constitue l'axe central du récit. « Ils étaient alliés en ce sens qu'ils croyaient tous deux passionnément aux nouvelles idées religieuses qui venaient d'Allemagne, de Hollande, ­adhéraient à l'idée selon laquelle la Bible devait être accessible en anglais. Cromwell comme Anne Boleyn pensaient que les gens ordinaires devaient avoir un accès direct à Dieu. »

    “Thomas Cromwell a toujours été considéré comme un ‘méchant’, nous l'avons transformé en héros.” Peter Kosminsky

    Mais avec la reine d'Angleterre, comme avec ses autres « meilleurs ennemis », Cromwell jouera, in fine, la même carte : celle de la trahison. « Cromwell est un pragmatique », ­explique Kosminsky. Il a toujours fait ce qu'il devait pour gagner en pouvoir, mais aussi pour survivre. Il sait que s'il n'accomplit pas ce que demande Henri, c'est sa tête qui se trouvera sur le billot. » Le personnage du roi est, quant à lui, légèrement en retrait, très éloigné du monstre sanguinaire dépeint dans la plupart des fictions. « L'image de brute qu'Henri VIII a laissée dans l'historiographie repose sur ce qu'il était devenu à la fin de son règne. A savoir un homme qui vivait dans une souffrance constante à cause d'une blessure à la jambe, qui ne pouvait plus faire de sport, qui était devenu incroyablement gros, paranoïaque et incontrôlable. Mais dans ses jeunes années, il incarnait une forme de puissance charismatique. C'était un merveilleux athlète, il parlait plusieurs langues, composait de la musique, et contribua à la ­renaissance des arts à la cour. »

     

    Dîner fielleux entre Thomas Cromwell (Mark Rylance), le chancelier Thomas More (Anton Lesser) et Eustache Chappuis, envoyé de Charles Quint (Mathieu Amalric).

     

    Grande œuvre romanesque, mais pas forcément grand public, Wolf Hall a connu un succès inespéré en Angleterre. Inspirant des « Wolf Hall parties » (soirées costumées), et surtout des querelles d'historiens dans les journaux. Devant cet engouement, une suite est envisagée, adaptée du dernier roman de la trilogie. « Mais pas avant plusieurs années, car Hilary Mantel n'a pas encore fini d'écrire l'ouvrage. » En attendant, Kosminsky prépare pour Channel 4 une série consacrée à l'Etat islamique. Grand écart ? Pas tant que ça. « A l'époque des Tudors, on brûlait les gens en public, on coupait la tête de ceux qui s'écartaient de la religion officielle. Cinq cents ans plus tard, l'Etat islamique tue et torture au nom d'une certaine interprétation de l'islam... Alors oui, il me semble que l'on peut établir un parallèle entre le schisme au sein de l'Eglise au XVIe siècle et ce qui se passe aujourd'hui ».

    A voir

     Wolf Hall (épisodes 1, 2 et 3/6) - Jeudi 21 janvier à 20h55 sur Arte

    (1) A ne pas confondre avec son lointain descendant, le militaire et homme politique Oliver Cromwell.


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